HIP HOP STORY....
Vu de loin, le rap et le hip hop sont le même genre musical ; les puristes, pourtant, vous objecteront qu'il n'en est rien. Quand le rap, à la base, ne désigne que le chanté/parlé et le phrasé saccadé de ses Maîtres de Cérémonie (les MCs), le hip hop, dont le DJing, la breakdance et le graph sont d'autres composants, recouvre une réalité bien plus complexe que des clichés faciles ne le supposent.
Même si le thème est galvaudé, il est difficile, à l'origine, d'éluder la dimension sociale du hip hop, rejeton des ghettos noirs new-yorkais. Surgi dans les années 70, le genre renoue alors, à la manière des sound systems reggae, le contact que les musiques noires reconnues avaient perdu avec la rue. Il est aussi l'occasion pour une jeunesse déshéritée de s'affirmer lors de véritables représentations qui prennent parfois l'allure de compétitions.
Le genre, toutefois, ne saurait se réduire à cette indéniable dimension sociale. Dès ses débuts, le hip hop a su promouvoir d'audacieuses chorégraphies tout comme de réelles innovations musicales. Au rang de ces dernières, l'art de jouer avec les platines pour en extraire et en manipuler le passage choisi, qui avec le sampler inondera plus tard l'ensemble de la DJ culture, et le scratching, qui restera plus spécifiquement hip hop.
De 1986 à 1992, le hip hop connaît un prodigieux essor et un âge d'or artistique. Formidable vecteur d'affirmation des minorités, il est accaparé par les hispaniques, et en Europe, par les jeunes issus de l'immigration. La médaille a pourtant son revers : alors que la starification privilégie les MCs aux dépends des DJs, le message laisse place au verbiage, la virulence aux propos orduriers, la revendication aux préoccupations bassement matérielles.
En 1998, le hip hop, finalement ramené au seul rap, profite de son triomphe avec le plaisir du parvenu : aux Etats-Unis, son chiffre d'affaires dépasse désormais celui du rock ou de la country. Dans le même temps, le genre se perd dans le racolage, les reprises incessantes de classiques variété et Hollywood choisit ses nouvelles stars parmi les rappeurs.
On donnerait le hip hop pour mort, victime de son succès, si tout un underground n'avait subsisté depuis la grande époque, assurant sa pérennité par le biais de labels indépendants, comme le rock deux décennies plus tôt. Puisant dans le passé ressources, fraîcheur et inventivité, des artistes tentent de donner au genre un nouveau départ, de lui inventer de nouvelles ramifications.
Un nouveau hip hop, fier de son indépendance, ne cesse de se révéler. Eparpillé entre New York, Los Angeles, capitales traditionnelles du genre, mais aussi San Francisco, Detroit, Chicago, voire Toronto, Manchester ou Tokyo, il a progressivement élargi son audience et se montre même assez ouvert, parfois, pour reconnaître dans la jungle ou le trip hop européens les fils illégitimes du rap américain.
Le nouveau hip hop parviendra-t-il à régénérer le genre ? Ou bien disparaîtra-t-il de sa belle mort, se diffusant dans d'autres genres, plus neufs, plus prometteurs, plus virulents parfois, plus blancs souvent ? Finira-t-il édulcoré, volé, pillé, éparpillé, comme l'ont été bien d'autres musiques noires ? Sans trancher la question, ce site vous propose de découvrir les raisons d'être et les meilleurs représentants du nouvel indie rap.
NEW YORK
C'est à New-York qu'est né le rap, au milieu des années 70. C'est à New-York que sont apparues ses premières stars, dans les années 1986-88. C'est de New-York que sont venues les premières critiques contre les dérives du genre, au début des 90's. C'est tout naturellement New York qui constitue aujourd'hui le bastion le plus solide et le plus riche du hip hop underground. Des artistes et des labels indépendants ont bien évidemment toujours existé. Mais quelques relais leur ont permis, ces dernières années, de façonner leur identité et de proclamer leur spécificité.
L'un des acteurs du renouveau hip hop de la Grosse Pomme est le Lyricist Lounge, créé en 1991 par deux adolescents soucieux d'offrir un moyen d'expression aux artistes new-yorkais en mal de reconnaissance. Entre salle de concert et lieu de rencontre, le Lyricist Lounge est rapidement devenu le laboratoire et le creuset d'une nouvelle scène. En 1997, une compilation sortie sur Rawkus a permis aux meilleurs artistes du club de se faire connaître sous le patronage de quelques anciens.
Créé en 1995 par deux étudiants, Brian Brater et Jarret Myer, Rawkus a construit sa réputation sur le slogan facile de l'indépendance. Peu de disques sont sortis, mais tous ont été choisis strictement pour refléter au mieux cette ligne. Alors que Soundbombing Vol.1 et Vol.2 et Lyricist Lounge Vol.1 ont révélé de nouveaux talents (d'ailleurs pas tous new-yorkais), la sortie CD du premier album de Company Flow, en 1997 et le recrutement de noms prestigieux (Mos Def, Talib Kweli, Sir Menelik, Pharoahe Monch, Shabaam Shadeeq, DJ Spinna) ont fait de Rawkus le label rap le plus prisé du moment, ainsi que la tête de proue du hip hop underground.
Mais l'arbre Rawkus ne doit pas cacher la forêt indépendante. Le prestigieux label n'a fait que recueillir la crème d'une scène hip hop new-yorkaise hyper active, animée par des dizaines de petits labels : Makin It, Down Lo, Wreck, Dolo, ou le prestigieux Fondle' em, à qui l'on doit les excellents Arsonists et MF Doom, sans doute le plus gros réservoir de futurs talents new-yorkais.
Créé en 1995, Fondle' em devait se contenter à l'origine de sortir un EP des Cenobites (Kool Keith et Godfather Don), destiné à promouvoir une émission radio de Bobbito Garcia, DJ avec Stretch Armstrong sur Hot 97 et WKCR, et par ailleurs critique pour Vibe. Mais Garcia, grand connaisseur de l'underground new-yorkais, décida de continuer l'aventure pour promouvoir des artistes aussi talentueux que les Juggaknots et J-Treds (membres avec Company Flow du collectif Indelebile MCs), Siah, M.F. Doom ou les géniaux the Arsonists.
Enfin, autre grand acteur de cet underground new-yorkais, le disquaire Fat Beats, présent à New York avec deux boutiques, mais aussi à Los Angeles et à Amsterdam, s'est spécialisé dans la distribution des petits labels hip hop. Le magasin Fat Beats de Greenwich Village, tenu par DJ Eclipse, compte des acheteurs réguliers aussi prestigieux que Q-Tip, DJ Premier ou Pete Rock et anime une émission radio culte sur WNYU FM
LOS ANGELES
Los Angeles a beau être la seconde capitale du rap, le paysage musical de ces dernières années laissaient sérieusement à désirer. La révolte des NWA et le g-funk de son transfuge Dr Dre, un temps cruciaux et incontournables, ont finalement et rapidement sombré dans l'insignifiance et le racolage les plus abjects. Bien difficile, dans ces conditions, pour des groupes aussi talentueux que les Alkaholiks, Freestyle Fellowship, ou les excellents Pharcyde d'échapper à l'omniprésence gangsta.
Toutefois, des artistes hip hop indépendants, hostiles aux nihilistes, branleurs et vénaux gangsta, tentent désespérément de perdurer à l'ombre de Death Row, aidés en cela par leurs confrères new-yorkais, ou par ceux bien plus proches, de la scène hyper active de San Francisco. D'ores et déjà, le hip hop old school de Jurassic 5 a percé une brèche, faisant de son premier album un succès underground aux US, et bien plus large en Angleterre. De même que l'un de ses DJs, Cut Chemist, reconnu comme l'un des plus prestigieux turntablists.
Les Jurassic 5, tout comme quelques uns de leurs disciples locaux comme Ugly Duckling, ne devraient pourtant pas cacher une nuée d'autres artistes largement autant sinon plus talentueux. Tandis que Defari, affilié au collectif Likwit Crew, aux côtés d'Xzibit et des Alkaholics, a déjà signé un album recommandable (Focused Daily), les turntablists de Beat Junkies (Babu, J-Rocc, mixeurs de la compilation Soundbombing Vol 2 sortie en 1999 chez Rawkus), Ras Kass, les Dilated Peoples, Paul Nice, Planet Asia et bien d'autres ont déjà prouvé leur valeur. Impossible aussi de ne pas mentionner les Styles of Beyond, auteurs avec 2000 Fold de l'album underground le plus côté de 1998.
Et encore. Tout cela n'est rien. En 1998, une compilation underground d'une qualité exceptionnelle, Beneath the Surface, a réuni toute une pléiade d'artistes plus que prometteurs, dont les seuls connus sont Iriscience des Dilated Peoples et Aceyalone et Self Jupiter de Freestyle Fellowship. Qui avait auparavant entendu parler d'Alien Nation, de Xololanxinxo, de Brothers Manifesto, de Darkleaf, d'AWOL One ou de beaucoup d'autres ? Il semble pourtant que nombre d'entre eux existent depuis des années, et qu'ils aient enfin décidé de passer à l'action pour changer le visage du Los Angeles rap.
SAN FRANCISCO
Le développement d'une scène hip hop indépendante autour de la Bay Area n'a rien d'étonnant. Grande métropole au passé musical prestigieux, San Francisco se situe à distance des capitales traditionnelles du rap, New York et Los Angeles, également principaux sièges de l'industrie musicale américaine. Aussi les artistes locaux y ont-ils créé leurs propres structures. Dans la lignée de quelques précurseurs locaux comme les Disposable Heroes of Hiphoprisy ou les Souls of Mischief, ils tentent de prouver, tous à leur manière que le West Coast hip hop ne se résume pas au gangsta rap.
La particularité du hip hop de la Bay Area (principalement San Francisco et Oakland), outre la positivité de ses rappers, ainsi qu'un souci affirmé de renouvellement du genre, est avant tout la réhabilitation des DJs, virtuoses que n'effraient d'ailleurs pas les excès du turntablism et dont les chefs de file sont les Invisibl Skratch Piklz (Q-Bert, Mix Master Mike, Shortkut...). La scène de San Francisco est aussi très nettement multiraciale : noirs, bien sûr, blancs, également, ainsi que philippins ou japonais.
Deux blancs, justement, ont largement contribué à promouvoir cette scène. Le responsable du label Stones Throw (où sévissent Rasco et Lootpack), Peanut Butter Wolf, ainsi que celui de l'ex Solesides, devenu Quannum Projects (Latyrx, Blackalicious, qui ensemble forment Quannum), déjà connu très largement au delà du rap et de la Bay Area, DJ Shadow. Tous deux ont par le passé participé à un fanzine, BOMB, qui fut un moment le creuset de cette scène naissante. Autre grand personnage à avoir attiré l'attention sur la Bay Area, le vétéran Kool Keith, en s'associant à the Automator et Q-Bert, côté West Coast, et Sir Menelik côté East Coast, pour son projet Dr Octagon.
Depuis, toute une nouvelle génération d'artistes est apparue, relayée cette fois par Vinyl Exchange, une newsletter éditée par DJ Stef. Autour des clubs the Cat's Alley, the Justice League, ou the Future Primitive (rendue célèbre par les exploits des DJs Shortkut et Cut Chemist), s'illustre désormais toute une myriade de grapheurs (Twist), breakdancers, et collectifs musicaux aussi prometteurs que les Hieroglyphics (comprenant les déjà vétérans Souls of Mischief et Del the Funky Homosapien), la Hobo Junction (Saafir...), en qui certains ont reconnu un Wu-Tang West Coast, l'Executive Lounge ou le Living Legends Crew. Bref, tout un réservoir de talents d'où l'on attend que de bonnes choses.
CHICAGO
A l'image de Detroit, sa voisine, Chicago a toujours été à l'avant-garde de la musique populaire. Toutefois, si l'on a beaucoup parlé du post rock de Tortoise, ou, dix ans plus tôt, de la house music, cette ville s'était jusqu'à présent très peu distinguée par son rap, si ce n'est avec Common Sense. Une scène hip hop indépendante originale y est pourtant en train de naître.
Composé de All Natural (Tone B. Nimble et Capital D) et de The DailyPlanet (The AllStar et Spotlite), le collectif the Family Tree en est l'embryon. Elevés au rap positif, mélodique et subtil de De La Soul et de Gangstarr, ces artistes ne renient pas non plus l'influence de groupes britanniques comme Portishead, ordinairement dénigrés dans le milieu rap américain. Capital D anime aussi the Writers' Bloc (Rashid Shabazz, Pi alias G(riot), et Mr. Green Weedz), une équipe d'artistes hip hop, éditeurs du livre Fresh Air, livré avec la version américaine du premier album des All Natural. Chicago est pourtant loin de se résumer à ce Family Tree ; d'autres artistes de même accabit s'y distinguent, en particulier les excellents Rubberoom.
Jusqu'ici, la scène hip hop de Chicago est demeurée beaucoup plus discrète que celles de New York, de Los Angeles ou de la Bay Area. Elle doit user de l'existant, pour s'imposer. Et l'existant, à Chicago, pour l'instant, c'est la house ou le rock. C'est par celui-ci, curieusement, qu'un groupe comme All Natural est parvenu à se distinguer. Parrainé par Thrill Jockey, label référence du post rock, apparu sur scène en première partie de Tortoise, le duo est finalement distribué en Europe par Uppercut, division rap du meilleur label trip hop d'Angleterre, Cup of Tea. Histoire de fermer la boucle avec Portishead.